:: – Article proposé par Bernard SADY – ::
Bernard est l’auteur du blog incontournable : http://bernardsady.over-blog.com
Je souhaites aujourd’hui vous faire une recension du livre de Beverly Kaye et Sharon Jordan-Evans : « Gardez les meilleurs ! ».
D’abord une remarque sur le titre, très mal choisi. Je n’aime pas cette traduction et je préfère le titre original en anglais : « Love ‘hem or Lose ‘hem » (Aimez-les ou perdez-les).
C’est le souvenir du chapitre de « Faits en foutaises dans le management » posant la question « Les meilleures organisations ont-elles les meilleurs collaborateurs ? » qui m’a fait réagir.
En effet, dans ce chapitre, Pfeffer et Sutton expliquent que
« l’argument est le suivant : les compétences, l’intelligence, les qualités physiques, les caractères et les tempéraments des individus sont si difficiles à changer que les actions des entreprises, y compris leurs performances, reflètent essentiellement la somme des attributs des individus recrutés et fidélisés. On retrouve cette opinion dans The War for Talent où les auteurs, des consultants de chez McKinsey, soutiennent que les individus talentueux sont rares, font toute la différence et représentent l’un des avantages concurrentiels majeurs à l’heure de la révolution de l’information. »
Nos deux auteurs dénoncent cette « obsession du talent » qui
« trouve son origine dans un ensemble d’hypothèses et de preuves empiriques incomplètes, trompeuses et carrément erronées. »
« Gardez les meilleurs ! » est bien dans cette lignée d’obsession du talent. Mais il contient de nombreux éléments intéressants.
Continuons avec Pfeffer et Sutton : Les trois hypothèses principales sont les suivantes :
- «Une sélection fiable des candidats est une sélection fondée sur leurs capacités et leurs compétences.
- Les capacités des individus sont largement immuables – certains individus sont bons, d’autres mauvais.
- La performance organisationnelle se résume généralement à l’addition des performances individuelles ; ce qui compte est ce que font les individus et non le système ou le contexte au sein duquel ils le font. »
A chacune de ces trois hypothèses, ils répondent :
- « Le talent n’est pas si facile à identifier à coup sûr. » : « Premièrement, même les meilleurs indices utilisés pour prédire la performance future ne sélectionnent pas forcément les meilleurs candidats. » « Deuxièmement, les performances varient naturellement, d’un jour à l’autre ou d’une semaine à l’autre. » « Autre problème pour évaluer les aptitudes ou les talents : le jugement humain est inévitablement et extrêmement subjectif. » Conclusion : « Ces incertitudes et ces faiblesses humaines signifient que l’évaluation des talents et des aptitudes pratiquées par la plupart des organisations dans le cadre de leur politique de recrutement est sujette aux erreurs et aux partis pris. »
- « Le talent n’est pas définitif, sauf si vous pensez le contraire. » : « Il est une cible mobile, un facteur qui évolue constamment. Malgré tous les mythes qui circulent, le talent n’est pas fixé une fois pour toutes à la naissance ou dans l’enfance. Il dépend de la motivation et de l’expérience de l’individu, de la manière dont l’individu est dirigé. »
- « Les performances des systèmes sont souvent plus importantes que les performances des individus. » : « Les entreprises, ou les réseaux d’entreprises, sont souvent des systèmes complexes qui ne peuvent fonctionner correctement que si toutes les pièces de l’ensemble s’intègrent parfaitement les unes aux autres. […] Il est impossible, même pour les individus les plus talentueux, de faire du bon travail au sein d’un système inefficace. Alors qu’un système bien conçu où travaillent des salariés moyens mais correctement formés peut obtenir durablement des résultats remarquables. »
Et ils terminent leur chapitre en donnant quatre « conseils pour gérer le talent dans votre entreprise » :
- « Considérez le talent comme accessible à la grande majorité des individus et non réservé à une élite ».
- J’aime beaucoup le deuxième conseil : « La loi des systèmes foireux est plus forte que la loi des nazes ». Au-delà de l’expression, la remarque est très pertinente. Bien sûr, « il existe des individus incapables ou qui refusent de remplir la mission qui leur est confiée. Les individus incompétents sont nuisibles aux organisations et il y aura toujours des brebis galeuses à recycler, à transférer à d’autres postes ou, le cas échéant, à congédier. Mais la loi des nazes est une demi-vérité dangereuse et nous lui préférons la loi des systèmes foireux. Pourquoi ? Parce que les systèmes inefficaces sont beaucoup plus destructeurs que les individus incompétents et qu’ils peuvent transformer un génie en idiot. »
- « La sagesse : le talent n° 1 ? » La réponse est affirmative : « La sagesse et non l’intelligence est probablement le talent le plus important pour soutenir les performances de l’entreprise. »
- « Encouragez les individus à parler ouvertement et à fourrer leur nez partout, c’est bon pour la sagesse. »
Il était important de préciser les choses avant d’attaquer le commentaire de « Gardez les meilleurs ! » : l’essentiel n’est pas de ne garder que les meilleurs (et donc, en corollaire sous-entendu, de délaisser les moyens et virer les mauvais…) mais de faire en sorte que chacun se sente bien dans l’entreprise. On a besoin de tous dans une entreprise (peut-être pas les mauvais, mais le sont-ils tant que ça ?…) et non pas seulement de quelques individus « exceptionnels ».
Le livre « Gardez les meilleurs » est bien dans la lignée des ouvrages comme « The War for Talent », cible de Pfeffer et Sutton. En effet, Kaye et Jordan-Evans affirment que « vous avez besoin que vos collaborateurs d’exception restent à vos côtés, car ils sont essentiels à votre réussite et sont la pierre angulaire de votre société. »…
Mais le livre n’est pas un traité théorique sur les talents. Nos auteurs donnent simplement « 26 propositions simples et efficaces pour retenir vos collaborateurs les plus talentueux ». Loin de la théorie, ils nous emmènent sur le terrain de la vraie vie et c’est beaucoup plus intéressant.
Cependant, toute leur démarche consiste s’adresser à des managers “utilitaristes” qui veulent que toute action en entreprise soit absolument justifiée et fasse l’objet d’une étude de rentabilité : si vous êtes humain avec vos collaborateurs, il faut que ce soit rentable, sinon passez à autre chose !
Le raisonnement de nos auteurs est le suivant : vous devez être humain avec vos (meilleurs) collaborateurs, les respecter et veiller à leur bien-être, sinon ils vous quitteront et cela va vous coûter très cher pour les remplacer. C’est même chiffré : « le remplacement d’un salarié coûte deux fois son salaire annuel et un talent exceptionnel (qui a des compétences spéciales) quatre ou cinq fois son salaire »…
Je préfère être humain avec mes collaborateurs et mes collègues et veiller à ce que chacun se sente bien dans l’entreprise tout simplement parce que ce sont des hommes et des femmes et non des robots ou des machines. Car il ne faut pas se méprendre, si vous êtes humain uniquement pas soucis de rentabilité, cela n’ira pas très loin… Au moindre revers, vous viserez la rentabilité à court terme au mépris de tout respect de vos collaborateurs et de vos collègues.
Malgré tout, si on fait abstraction de ce parti pris “utilitariste”, la plupart des remarques et suggestions sont intéressantes.
:: – Article proposé par Bernard SADY – ::
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