En préambule, je rappellerai la logique et la simplicité de la démarche Lean qu’on décrit usuellement en 5 étapes :
E1 : Définir la valeur au sens du client (permet notamment de définir ce que sont vos mudas à éliminer)
E2 : Identifier la chaine de constitution de la valeur : cela se fait notamment via un outil bien connu : la VSM (Value Stream Mapping)
E3 : Installer un flux continu tout au long de la chaine, le produit doit passer d’une étape à une autre sans interruption, il faut éliminer les obstacles qui vous empêchent de tendre vers cet objectif
E4 : Mettre en place un flux tiré par la demande client
E5 : Viser la perfection, un gaspillage éliminé en cache toujours un nouveau, l’amélioration continue ne s’arrête jamais.
Quand on est convaincu de la justesse de la démarche Lean, on est parfois déstabilisé par l’étape 3 et plus souvent par l’étape 4 car tout ne peut être mis en flux tirés, le Lean est une cible mais on ne peut pas toujours atteindre le graal du flux tendu…
Ainsi par exemple si vous fabriquez une grande diversité de produits sans troncs communs avec une demande erratique et qui consolidée ne constitue pas une charge régulière dans le temps alors le passage en flux tirés peut s’avérer impossible.
Je vais prendre un exemple d’une activité d’assemblage dédiée à servir une activité « pièces détachées ». Ce type d’activité est souvent imprévisible et nécessite une grande réactivité quand au service.
Aussi imaginons une entité de 20 personnes devant délivrer à la demande 300 codes de pièces détachées à demande erratique (si ces codes tournent alors voir la gestion à appliquer sur l’article concernant les « runners »)
Evidemment ces 20 personnes ne sont pas toutes capables de gérer l’intégralité des 300 codes, on imagine alors aisément les difficultés intellectuelles quand on essaye de passer en flux tirés via par exemple un kanban visuel…
Quelles sont les difficultés de cet exemple : des kanbans sur 300 codes ça en fait des étiquettes…et puis à qui affecter mon kanban car tous les opérateurs n’ont pas les mêmes compétences ? Ces compétences d’ailleurs pourraient se recenser dans une matrice de compétences (personnes / codes) où l’on référencerait qui sait faire quoi et suivant quelle maîtrise (expert, pratiquant, débutant) Une matrice donc à 20*300 = 6000 cases et dans chaque case des niveaux d’efficacités différentes soit 18 000 informations à gérer…
Comment gérer des flux tirés simples dans ces conditions ? La réponse : stop à la torture intellectuelle, vous êtes face à un environnement compliqué, la méthode de gestion sera plus élaborée qu’un kanban classique et elle devra souvent s’appuyer sur un outil informatique pouvant faire face à la multiplicité des combinaisons possibles.
Les pseudos gourous du Lean qui vous diront que tout peut être géré visuellement et simplement ne sont pas à écouter (on sait que le jusqu’au boutisme n’est jamais bon dans quel que domaine que ce soit)
Dans mon exemple vécu, une des solutions mise en place et qui fonctionne bien est la suivante (résumé simplifié toutefois) :
• Classification des 300 codes entre gestion à la commande et gestion sur stock (il faut pour cela bien comprendre votre demande client car une gestion à la commande peut entraîner un délai qui doit être accepté)
• Sur les codes gérés en stock, définition d’un seuil minimum et maximum de stock
• Prise en compte par un outil d’ordonnancement de la matrice des compétences pour planifier les fabrications des codes sur les opérateurs formés.
• Planning construit en planifiant des fabrications pour tous les codes dont le seuil minimum de stock est atteint avec recomplètement jusqu’au seuil maximum (maximum qu’on devra faire tendre vers le minimum via du SMED par exemple…logique de réduction des lots pour aller vers du flux continu) Dans cette logique de planification, on peut aussi prendre en compte les commandes en cours car évidemment un recomplètement est plus urgent quand des commandes sont en attente…
Dans cet exemple, on reste sur la philosophie de flux tirés (on a un stock tampon et on déclenche les fabrications quand la demande fait baisser ce stock) mais ces flux tirés ne sont pas visibles physiquement sur le terrain.
La conclusion est qu’il faut effectivement bien connaitre et maîtriser la démarche Lean, qu’il faut toujours viser la simplicité au démarrage de tout projet mais il faut aussi prendre en compte que la réalité d’un process ou d’un environnement nécessite de s’adapter pour bien les gérer… C’est alors la créativité de tout un chacun ou plutôt d’un groupe de réflexion qui fera la différence en installant un système de gestion élaboré même s’il conserve en son sein la philosophie Lean.