Anne-Laure Delpech aide les entreprises de Bretagne à révéler leurs potentiels en réduisant les gaspillages et mobilisant les salariés. Elle anime le blog Parcours-Performance, sur le lean et, plus généralement, sur la manière de produire mieux, immédiatement et simplement.
Est-il possible d’impliquer des salariés dans un projet dont le seul objectif serait l’amélioration de la productivité ?
J’ai choisi un facteur de succès et un facteur d’échec dans l’excellente infographie de Florent sur les facteurs de succès et d’échec d’une transformation lean :
- succès grâce à « l’implication de tout le personnel »
- échec lié à « gains axés sur la productivité ».
Qui est motivé par des gains de productivité ?
« Tous les salariés veulent des gains de productivité car c’est une condition pour que l’entreprise ait un futur » affirment des dirigeants.
Mais si vous allez demander aux salariés ce qu’ils en pensent, le son est tout autre :
- « On va être encore plus fatigué »
- « ils vont s’en mettre plein les poches et nous on n’y gagne absolument rien »
- « Plus de productivité alors qu’on rame déjà pour trouver des commandes, tu rigoles ? ».
Un projet dont le seul but est de gagner en productivité ne motivera PAS le personnel. On pourra même s’estimer heureux si certains ne s’y opposent pas.
Et pourtant, il faut améliorer la productivité !
C’est vrai qu’une entreprise qui n’améliore pas ses coûts a peu de chances de faire face à la concurrence. Une Direction responsable doit donc mener des actions qui permettent de gagner en productivité.
Mais si personne n’est motivé, le changement sera difficile.
La Direction se fera peut-être aider par des consultants « lean ». Ceux-ci consulteront probablement les salariés. Mais au lieu de les écouter vraiment, de les aider à faire des propositions et à les essayer, ils vont faire des « recommandations » à la Direction.
La Direction va émettre des directives et on aura le lean dont on parle dans les médias, celui qui provoque encore plus de stress et de fatigue pour les salariés. La productivité va sans doute s’améliorer mais ça ne durera probablement pas. Ou si ça dure, il n’y aura pas d’autres gains dans le futur.
Pour réussir, il faut que tous y gagnent !
Je n’ai jamais vu d’amélioration durable de la productivité sans l’implication de tous les salariés.
Mais je n’ai jamais vu de salariés qui s’impliquent vraiment dans l’amélioration de la productivité !
La seule solution, c’est de mener une transformation qui permette à toutes les parties prenantes d’y gagner.
Par exemple, ce projet dans une PME de la filière automobile :
- Salariés : ils doivent moins se fatiguer au travail
- Dirigeant : il ne doit plus stresser en se demandant s’il ne devra pas téléphoner au client pour annoncer un retard de livraison
- Tous : l’entreprise doit être suffisamment rentable pour avoir un avenir, pour pouvoir investir, pour convaincre les banquiers de financer son besoin de trésorerie, pour convaincre l’actionnaire (souvent le dirigeant) qu’il doit conserver l’entreprise, voire même y investir encore (s’il le peut).
- Client : il doit avoir un produit plus fiable qu’aujourd’hui et dans les délais annoncés à la commande.
C’est un peu simplificateur, mais c’est bien la manière dont ont été posés les enjeux d’une transformation lean dans cette entreprise. Et la sécurité des salariés a toujours primé sur tout le reste. Pourtant, l’entreprise a amélioré sa productivité de 33% en moins d’un an.
Et en plus, il y a encore de nouvelles améliorations en cours !
Quelques idées pour y arriver aussi
• Lorsqu’on identifie des gaspillages tels que des déplacements, il faut TOUJOURS se demander si leur élimination ne provoque pas aussi l’élimination d’un temps de récupération. Par exemple, un opérateur se déplace régulièrement pour aller chercher des outils ou des composants.
Disons que ces déplacements représentent 30% de son temps quotidien (c’est souvent de cet ordre dans les entreprises peu mécanisées). On trouve une solution pour éliminer l’essentiel de ces déplacements. Mais l’opérateur travaille à genoux dans un véhicule, ou bien le reste de son activité se déroule les bras en l’air ou à transporter de lourdes charges.
Dans ce cas, on va éliminer seulement la moitié des déplacements inutiles. Les autres ne sont pas inutiles puisqu’ils permettent de compenser des postures dangereuses ou fatigantes. On ira même jusqu’à organiser ces déplacements pour qu’ils se produisent de manière régulière !
• Au lieu de penser que les coûts ne sont provoqués que par les opérateurs (ceux qui font la valeur), on peut se focaliser sur la manière dont toutes les autres fonctions pourraient mieux AIDER ces opérateurs.
On travaillera alors à la réduction des gaspillages liés au fait que les opérateurs n’ont pas toujours la bonne information, le bon outil, la bonne matière, la bonne formation, …
Avec cette façon de penser, on obtient vite la confiance (justifiée) des salariés. Ils se mobilisent alors pour améliorer chaque jour le fonctionnement de leur entreprise. In fine, ils y gagnent et la productivité aussi !