La fermeture
L’odeur des merguez grillées mêlée à celle des pneus brûlés avait ce jour-là un arrière-parfum de désespoir. La nouvelle venait de tomber : l’usine allait fermer et c’était irrémédiable. Depuis le bivouac de fortune installé devant l’entrée dès les premières menaces de fermeture, Patrick contemplait ce magnifique bâtiment de briques rouges où il avait toujours travaillé. Malgré le tragique de la situation, il ne pouvait effacer le petit sourire ironique qui se dessinait au coin de sa bouche en pensant aux superbes lofts qui allaient bientôt remplacer la maintenance, le bureau d’études, le traitement de surface.
La menace de fermeture avait toujours plané sur cette usine dont les coûts de production étaient inlassablement comparés à ceux de sa sœur roumaine. Il y a sept ans cette menace avait même failli être mise à exécution et le groupe avait nommé un nouveau directeur général pour faire le « sale boulot ». Mais celui-ci n’avait pas vu les choses de cet œil. Fervent adepte du Lean Manufacturing, il avait proposé un deal aux actionnaires : sortir l’usine du rouge en moins de deux ans. C’est ainsi qu’un nouveau souffle d’espoir avait permis de mobiliser les salariés dans un vaste programme de transformation et, tous ensemble, ils avaient obtenu des résultats spectaculaires.
Mais cela ne suffisait pas, la sœur roumaine était toujours moins chère et c’était la seule chose qui importait aux actionnaires, insensibles au formidable engouement généré par ce DG utopiste. Mais maintenant Patrick pensait déjà à l’avenir. Il allait utiliser sa prime de licenciement pour réaliser son rêve de toujours : ouvrir un restaurant !