Il y a quelques jours j’ai été amené à faire une visite d’usine.
Les visites d’usine sont assez rares pour moi, d’une part je travaille essentiellement à distance et d’autre part, mon expertise repose davantage sur mon expérience des processus transactionnels que de celui des processus de production.
A chaque visite d’usine, je suis donc comme une poule devant un couteau… J’observe en essayant de comprendre ! Et j’apprends en visualisant le potentiel du site si on mettait en place les outils et l’état d’esprit du Lean.
Bref, il ne s’agit pas de vous raconter ma vie, mais de vous relater un évènement qu’il ne m’était pas possible d’imaginer.
Avec Yves, le responsable de site, nous faisons le tour de l’usine. Yves m’explique l’historique un peu difficile du site et ses projets de relance d’activité. Il me fait part également des projets de réaménagement du flux de production, des mini chantiers 5S, et des premiers Kanban qu’il souhaiterait lancer. Bref, un tour d’usine classique.
Au fil des minutes nous parcourons les différents ateliers et les différents étages de l’usine. Nous en profitons pour saluer chacun des opérateurs et d’échanger un peu plus longuement avec ceux qui ont commencé à s’investir dans les premières idées de projet.
Nous arrivons enfin à l’étage le plus bas de l’usine. Yves souhaite me montrer une machine.
Celle-ci est au fond de l’espace. Elle est entourée d’une bande de chantier avec un panneau « Machine arrêtée pour raison de sécurité ».
Yves m’explique qu’en utilisant cette machine, il est possible d’y laisser ses doigts. Dès son arrivée, il a donc décidé de la faire évacuer.
A quelques mètres de cette machine, nous saluons un des représentants du personnel qui exprime sa satisfaction de voir partir la machine dangereuse. D’après lui, les choses avancent dans le bon sens. Il est également content que la demande de supprimer une couche de carton sur les palettes ait été entendue. Yves a dû négocier avec les achats pour que cette modification ne coûte pas trop cher, mais dans tous les cas, préserver la santé des opérateurs est le meilleur investissement à faire…
Jusque-là, nous sommes dans la visite d’usine la plus traditionnelle… Tout le monde travaille et quand le responsable de site passe avec un inconnu, on dit bonjour et on explique les projets en cours.
Mais c’est à ce moment-là qu’une chose EXCEPTIONNELLE se produisit !
Un opérateur vint interpeller Yves pour lui montrer un problème (écart à une situation idéal). Le problème c’est qu’en sortie de machine il faut faire un long geste pour pousser le carton jusqu’à la prochaine machine. Comme une espèce de tapis roulant sépare les deux machines, l’opérateur propose de le supprimer ou d’en trouver un plus court.
Yves appelle alors le responsable pour connaitre la faisabilité de cette modification.
L’opérateur explique alors de nouveau son idée devant le responsable. Celui-ci réfléchit une demi-seconde avant de répondre « Comme ça, je te dirais non. Ça n’est pas une bonne idée, car les grands cartons arrivent plus loin. Ça ne marchera donc pas. »
L’opérateur qui a eu l’idée explique que lui ça ne le dérange pas, mais que pour les femmes il trouvait que cela faisait faire un geste de grande amplitude et qu’il y avait des chances pour qu’à force de répétitions, cela devienne fatigant.
Yves demande alors s’il n’est pas possible de rendre les choses plus flexibles avec un tapis en accordéon par exemple. Il en profite pour dire que certains éléments de la machine hors d’état peuvent être récupérés pour améliorer ce poste.
Yves clôture la discussion en demandant de regarder ce qu’il est possible de faire et de le mettre en place si c’est effectivement possible.
Alros vous allez peut-être vous demander ce qui est exceptionnel… Ce qui est exceptionnel c’est qu’un opérateur se soit senti dans une telle ambiance de confiance qu’il proposa une amélioration dans un contexte particulier de visite d’usine. Ce qui est exceptionnel, c’est l’émergence d’une discussion autour d’une amélioration. Au début seul Yves discutait avec l’opérateur, mais ensuite 2 autres opérateurs se sont joints à l’échange. Ce qui est exceptionnel, c’est que l’idée n’était pas parfaite, mais que le responsable de site lui a donné une chance de survivre… Car ça n’est jamais la première idée qui est bonne, mais peu importe, ce qui est important c’est d’avoir décelé l’amélioration à apporter.
Alors, tout n’est pas parfait ! La réaction négative du responsable n’était pas forcément la plus appropriée à ce moment-là par exemple. Mais force est de constater que l’ambiance permet aux idées d’amélioration d’émerger.
Je souhaite à tout le monde de faire ce genre d’expérience… Et à titre personnel, j’aimerais bien retourner sur ce site dans les prochains mois pour voir comment auront avancé les différents projets dont Yves m’a parlé !
Juil
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14 Comments
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Je confirme que ce que tu as vu est exceptionnel.
Un jour un opérateur s’est plein d’avoir manqué de se faire arracher un doigt par une machine. Contestation de la hiérarchie : impossible !
J’ai imposé une enquête CHSCT. Résultat : quelqu’un d’autre a manqué se faire arracher un doigt.
Le taylorisme n’est pas mort !
Merci Catherine de ce témoignage ! C’est le genre de chose qui me dépasse…
Salut Florent,
Hélas l’homme « boeuf » de Taylor est loin d’être mort dans cette période de néo-taylorisme. Toutefois il existe encore dans un certain nombre d’usines utilisant la « boite à idées « qui ne froisse aucune susceptibilité. En FRANCE nous cumulons encore 20 ans de retard sur les entreprises dites « systémiques »expertisées par Sériex que l’on compte sur les doigts d’une main dans l’hexagone, on est toujours dans la cour des petits.
A plus tard , Dominique.
salut Florent,
Je confirme que c’est exceptionnel. D’habitude, le groupe se réunit pour tuer l’idée nouvelle avant sa sortie de l’oeuf, quand elle est extrêment fragile. J’ai un jour révélé une telle idée lors d’un audit, ce qui a permis de contourner le n+1 qui bloquait. Cétait un truc génial et pratique qui ne payait pas de mine mais qui a permis de changer tous les véhicules utilisés par les équipes mobiles et les mettre en sécurité et à l’abri quand il pleut. L’équivalent d’une usine qui aurait été à ciel ouvert pendant des années avant que quelqu’un n’ait l’idée d’y mettre un toit.
Cyrille
Merci de ce retour positif et de ta venue.
A bientôt.
C’est à moi de te dire merci Yves ! 😉 D’ailleurs, j’en profite pour dire que je suis ouvert aux visites d’usines, donc n’hésitez pas à me contacter si ca vous dit de partager vos expériences terrains !
Aurions nous perdu l’état d’esprit qui a permis à Alexandre DUMAS d’écrire ses « Trois Mousquetaires » et leur devise « Un pour tous, tous pour un ! »
On se rend compte sur le terrain que c’est le manager de proximité qui fédère son équipe.
L’ambiance que tu as perçu Florent ,où la confiance règne et permet ces réflexions vers la résolution de problèmes ,fait partie de l’art d’être manager !
bonsoir à tous,
les causeries sécurité, lorsqu’ils sont favorisées et animées sur le lieu de travail permettent les remontées de ce type d’information. C’est une des exigences du référentiel MASE. A titre d’exemple, ces causeries permettent l’amélioration de l’ergonomie des postes, la sécurisation des appareils (mise en place de carter de protection des mains et du visage (des projections), mise en place de double commande…). Au bout de quelques mois, la causerie organisée par petit groupe autour d’un animateur, devient un rendez-vous très attendu par tous les opérateurs. Surtout lorsque ces derniers voient se réaliser leurs idées…
Aujourd’hui, c’était séance de partage avec l’ensemble des opérateurs, sur le triangle dramatique de Karpman (Sauveur-Persécuteur-Victime) et sur le fait que nous avons tous à gagner quelque chose en nous mettant dans une attitude constructive.
A suivre …
Bonjour Florent
Bravo pour ce site plein d’information et de témoignages.
J’ai encore revu avec grand intéret ce week end le reportage sur jean françois ZOBRIST
Quelle intelligence et quel talent de conteur.
J’ai vu que vous recherchiez des entreprises a visiter et c’est avec plaisir que nous vous invitons à découvrir notre structure située à proximité de rennes.
Je pense que le visiteur a autant de choses à apprendre que le visité
Cordialement
Merci pour cette plongée au coeur des relations humaines dans l’entreprise.
Pour que l’écoute soit au rendez-vous il est nécessaire que chacun dépasse ses émotions.
La plus fréquente étant la peur: peur d’être contre-dit (manager) contre peur d’être incompris (opérateur), peur de perdre du temps (manager) contre peur de perdre le sens, l’efficacité de son travail (opérateur) etc..
Savoir prendre conscience de ses émotions, avoir confiance en soi et savoir dire sa proposition sans « effrayer » l’autre, restaure la communication constructive.
Bien cordialement
Tout à fait d’accord, Nicole.
Apprendre à formuler son besoin et écouter le besoin de l’autre pour mettre en place une solution commune.
Pas facile à faire au quotidien et à transmettre à l’ensemble des managers.
Encore merci pour ton article.
Malheureusement, l’usine va fermer et cette bonne ambiance va disparaître.
Dommage.
Effectivement, c’est une bien triste nouvelle qui malheureusement donne un peu plus de poids au titre de l’article… 🙁