« Chèques non autorisés », « pas de chèques », « Moi, j’aime pas les chèques »… partout nous voyons ces affiches fleurir sur les devantures des magasins, sur les pompes à essence. Eh bien nous dans notre activité, c’est un service apprécié de nos Clients, alors on les accepte.
Bien sûr, raisonnables comme nous sommes, nous avons quand même vérifié que dans notre business nos Clients sont en règle et en effet, 95% des chèques sont parfaitement honorés.
Restent les 5% qui reviennent quand même impayés.
Dans ce cas, la réactivité est essentielle. D’une part il faut arrêter de livrer le Client indélicat et d’autre part il faut envoyer le commercial lui réclamer notre dû. Simple et relativement efficace.
Oui, jusqu’au jour où se met en place une comptabilité centralisée au niveau national. Comme pour beaucoup de processus centralisés, la mode consiste à les concevoir sur l’idée que la création de valeur d’un Centre de Service Partagé suit un flux qui va de l’opérationnel qui vend, à la comptabilité qui enregistre puis à la direction financière qui compte les points.
Dans cette logique il y a un sous-entendu diabolique : l’opérationnel est fournisseur d’une comptabilité qui a pour client la direction financière. Résultat le Client, le vrai, celui qui nous achète nos produits, c’est à peine si on en parle. Pensez donc: le fournisseur d’un fournisseur!
Vous vous dites que c’est une affirmation gratuite?
Revenons à nos chèques impayés.
Depuis deux ans le crédit/recouvrement (un autre service centralisé) se plaint que rien n’est fait pour traiter les chèques impayés et las de ses incantations stériles, il décide de monter un groupe de travail avec la comptabilité client pour déclencher automatiquement des mises en demeure dès signalement d’un chèque impayé. Parce qu’il y a là une volonté d’amélioration continue et qu’il faudra un scribe pour écrire le processus, je suis associé au projet.
Premier étonnement: il n’y a pas d’opérationnel dans ce groupe de travail. Quand je décide d’inviter au moins une personne, en chœur le recouvrement et la comptabilité me disent qu’on n’a pas besoin d’eux. Ce à quoi je réponds qu’elle ne vient pas pour nous aider, mais pour nous dire ce dont elle a besoin… silence pesant.
Arrive la première séance de travail, le service crédit/recouvrement expose le problème (les impayés ne sont pas traités) et la cible qu’il veut atteindre (automatisation de la mise en demeure après un chèque impayé). Et aussitôt avec la comptabilité client ils échafaudent les contours du processus.
Deuxième étonnement: personne n’interroge l’opérationnel que j’avais invité. Je décide donc de le faire en lui demandant ce qu’elle pense de la cible. « Beaucoup d’impayés viennent d’un problème passager de trésorerie du Client et se règlent à l’amiable. Une mise en demeure trop systématique ce n’est pas bon pour notre relation « . Le crédit recouvrement intervient en soulignant que c’est bien joli, mais les opérationnels ne font rien.
Troisième étonnement: personne ne se demande pourquoi ils ne font rien. Mais là, je réponds à leur place parce que ça fait deux ans que les opérationnels le crient sur tous les tons : « ils n’ont pas l’information. »
La comptabilité client s’insurge « mais si! Ils ont l’information ». Effectivement, d’un point de vue technique ils l’ont. C’est un fichier de 7000 lignes qui agrège depuis 4 ans les impayés de 400 sites, mais sans le nom des sites parce que les concepteurs de l’ERP ont jugé que ce n’était pas utile. Quand, avec l’opérationnel nous soulignons l’inexploitabilité du document et qu’il faudrait plutôt un système d’alerte ciblé, la comptabilité nous répond « ce n’est pas notre boulot, notre boulot c’est de comptabiliser les chèques »… Mais pour qui travaille la comptabilité client alors? Quatrième étonnement. Mais ce sera le dernier parce qu’à partir de là j’ai compris et plus rien ne m’étonnera.
Au final, nous avons conçu une solution d’alerte semi-automatique par mail avec un outil Excel (développé en mode Agil). Et sans résolution de l’impayé, la mise en demeure sera déclenchée tacitement au bout d’un mois sauf avis contraire du commercial. L’accueil a été unanime: « ouf! »
Les processus administratifs dits partagés se doivent d’être comme les processus industriels: au service du Client, celui qui achète nos produits, celui revient parce qu’il est satisfait. Cette leçon du Lean que l’industrie a comprise, nos processus administratifs doivent la découvrir…
Et même si ça ne sera pas facile, ça sera au moins excitant
:,:Article proposé par Sébastien Mirabel, fait partie de l’équipe Amélioration Continue du Groupe Lafarge, au sein du Centre de Service Partagés de la France.:,: