Anne-Laure Delpech aide les entreprises de Bretagne à révéler leurs potentiels en réduisant les gaspillages et mobilisant les salariés. Elle anime le blog Parcours-Performance, sur le lean et, plus généralement, sur la manière de produire mieux, immédiatement et simplement.
Nous adorons la routine, nous avons beaucoup de craintes face au changement. Nous ne savons souvent même plus pourquoi nous avons choisi de faire les choses comme ça, dans cet ordre-là, en étant attentif à ceci mais pas à cela.
La routine a du bon lorsqu’elle correspond aux meilleures pratiques du moment (les standards du lean). Mais elle est dramatique lorsqu’elle est simplement le résultat du temps qui passe, sans contraintes, sans défis nouveaux.
Pour progresser, il nous faut mettre la barre plus haut chaque jour. Il faut que nous créions des défis réalistes et stimulants.
Résoudre des problèmes c’est bien, mais…
Deux opérateurs m’ont raconté le « lean » dans leur emploi précédent. Ils avaient l’obligation de produire une amélioration par semaine et par équipe : « Au début, c’était vraiment agréable, on a fait des choses intéressantes ». Puis les idées se sont taries. Ils ont alors commencé à produire des idées dans le seul but de tenir leur objectif : par exemple, « changer l’ampoule à un poste de travail », alors que l’ampoule existante fonctionnait très bien.
Mais pourquoi les idées se sont-elles taries ?
Au bout d’un moment, le potentiel créatif de l’équipe devient limité. Toutes les idées ont été explorées de fond en comble. Et plus personne n’a de nouvelles idées.
La raison, c’est que personne n’a proposé de nouveau défi à cette équipe :
• Et si vous deviez produire avec un effectif réduit de moitié, comment feriez-vous ?
• Et si vous décidiez que ce taux de rebut est inacceptable et doit être réduit ?
• Et si vous vouliez augmenter la production quotidienne de 15%, sans vous fatiguer plus ?
• Et si on simplifiait la paperasse ?
• Et si….
Des défis pour stimuler la créativité
Prenons l’exemple de cette entreprise de 200 salariés. L’assemblage de produits sur mesure est relativement simple. Mais le dirigeant s’arrache les cheveux : personne n’arrive à maîtriser le flux. Il est fréquent que 90% des composants soient prêts et qu’il faille deux semaines pour faire venir le complément jusqu’aux postes d’assemblage.
Alors, on commence un produit puis on va le ranger sur les côtés. Vous assurez au client qu’il sera livré dans les délais puis vous recevez un appel téléphonique furieux car la commande n’est pas arrivée. Vous n’êtes même pas certain que quelqu’un a commencé à la réaliser….
Pourtant, tous ont réalisé des améliorations considérables de leurs manières de travailler. L’atelier de débit est beaucoup plus productif, il génère moins de chutes, le taux de qualité a augmenté. Mais le seul sujet sur lequel on ne progresse pas, c’est la gestion du flux d’en-cours. On bricole comme on a toujours bricolé. On croit résoudre des problèmes alors qu’on ne fait que traiter ceux qui viennent de surgir, sans jamais mettre en œuvre des solutions durables.
Il n’y a pas de défis. On se démène pour faire bien mais on ne change rien à nos pratiques. Certains clients sont déjà partis vers d’autres fournisseurs plus respectueux des délais annoncés.
Se mettre au défi !
Dans notre entreprise exemple, on peint 35 chariots (trois jours d’assemblage) en orange et on les réserve à l’équipe d’assemblage de Franck. Le défi : personne ne peut utiliser un chariot orange si l’assemblage n’est pas réalisé pour Franck. L’équipe de Franck n’a pas le droit de démarrer un chariot si 100% des composants nécessaires ne sont pas à disposition pour terminer le produit.
Le résultat : en moins d’un mois, les gens du débit ont pris l’habitude de préparer l’intégralité d’un chariot en une fois. L’équipe d’assemblage prévient dès qu’elle remarque une rupture de stock à venir. Le nombre de chariots entamés mais non finis est passé de 55% à moins de 10%. Les salariés ont appris à travailler ensemble et à considérer qu’un travail utile consiste à préparer un produit prêt à livrer au client, pas quelque chose qui va être mis de côté en attendant un composant manquant.
Dans d’autres entreprises, les défis pourraient être différents :
• Ne jamais avoir plus de 1 jour de stock d’en-cours en attente devant un poste ;
• Définir une liste de produits (réduite) et s’engager à ne pas les commencer tant qu’on n’a pas 100% des composants prêts ;
• Fixer une zone au sol pour le stockage des en-cours et ne jamais déborder…
A chaque fois, ces défis, s’ils sont bien définis, sont l’occasion de stimuler la créativité de tous les cerveaux pour produire de nouvelles améliorations. Lorsque ça commence à ralentir, on remonte la barre !
Mais attention, ces défis doivent être vécus comme des jeux, pas des impératifs qui vont ajouter du stress ou inciter à délaisser autre chose.