:: – Article proposé par Cyrille Hurstel, Consultant en organisation – ::
:: – qualité et méthodes au sein du Conseil général du Bas-Rhin – ::
Partout dans toutes les collectivités et services publics nous entendons qu’il faut manager par objectif, qu’il est impossible de gérer une grande collectivité sans avoir d’objectif et bla bla bla.
Info ou intox ?
Si Goldratt a écrit « Le but : Un processus de progrès permanent », c’est bien que beaucoup d’organisations ont perdu le sens du but et le sens de la direction. Manager sans savoir où l’on va est certainement une catastrophe, mais avons-nous besoin d’une pléthore d’objectifs ?
Imaginez qu’une collectivité ait décliné ses objectifs à tous les niveaux, du DGS jusqu’aux simples agents du bas de l’échelle ? Imaginons que le premier sache où il va mais qu’au lieu de laisser ses troupes trouver les moyens d’atteindre les objectifs, il leur demande de décliner les objectifs ? Les suivants vont inventer autre chose pour décliner. Puis leurs subordonnés vont devoir faire preuve d’invention, et leurs subordonnés vont essayer de répondre à la commande, et enfin, les derniers vont inventer une liste d’action qui n’a plus rien à voir avec des objectifs. Et si possible des choses déjà atteintes pour être sûr d’obtenir la prime.
Et si on ne tombe pas dans la confusion objectif-tâche
Imaginez que le plus haut niveau ait pour objectif de faire mieux avec moins et qu’il l’exprime en disant
rendez le même service en baissant le budget de 10 %.
Imaginez que les niveaux inférieurs, les directeurs commencent à phosphorer chacun dans leur domaine. A l’informatique, la mode est aux services électroniques à la population, ceux que l’on appelle souvent les e-services pour faire moderne. Ce directeur a touché le Saint graal. Non seulement il se fait plaisir en travaillant dans les tendances de la mode mais en plus il peut dire à son chef qu’il contribue aux économies. Il va lancer des projets tout azimuts pour mettre en place une interface électronique pour des processus internes qu’il ne connait pas et qui, de plus, n’ont rien demandé. Certains de ces processus sont peut-être inconnus des gens qui les dirigent, dans le sens où leur directeur ne sait même pas comment les agents travaillent. Aucune mesure du taux de service, de la tension de flux, des volumes et charges de travail. Rien qui permet de les piloter. Ils existent, un point c’est tout. La première mission d’une administration est souvent d’exister. Pourquoi diable le DGS s’est mis en tête de modifier cet état de fait. Sans l’exprimer ainsi, le DGS demande que les processus gagnent en productivité, suppriment quelques mudas pour faire japonais, pour rendre le même service en coûtant 10 % de moins. Quand on connaît les gaspillages publics on se dit que c’est vraiment faisable.
Comment engendrer le changement désiré ?
L’informatique va-t-elle nous sauver ? Est-il pertinent d’informatiser un processus non maitrisé ?
Jean-François Zobrist, ancien directeur de l’entreprise FAVI déclarait fort justement lors d’un interview sur excellence-operationnelle.tv
ne cherche pas à automatiser un processus que tu ne maitrises pas à la main
ne cherche pas à robotiser un processus qui n’est pas déjà automatisé.
Comment les autres acteurs du système vont réagir face au désir de notre DGS ?
Le DRH est un chasseur de coûts. Il ne peut pas licencier de fonctionnaires mais il peut ne pas les remplacer quand ils partent. Il dispose également du levier des contractuels. Pour gagner ses 10 % sur la masse salariale, il bloque tous les renouvellements de poste et a décidé de ne pas reconduire les contractuels. D’ailleurs, il a mis un objectif primable à ses subordonnés : réduire les contractuels de 50 % dans chaque service.
Parmi les autres directeurs se trouve le directeur d’un musée ou d’un parc d’attraction à vocation pédagogique ou toute autre activité à caractère commercial. Imaginons qu’il s’agisse d’un musée très connu et très fréquenté l’été. Il reçoit des hordes de visiteurs pour aller voir la pièce unique qui constitue son joyau, un peu comme le vase de Vix présenté dans un petit musée quelque part en Bourgogne dans une ville dont j’ai oublié le nom. Je n’ai jamais oublié le vase par contre. Je le connaissais même depuis mon enfance mais j’aurais été incapable de dire où il était.
Imaginons que le directeur de ce musée utilise la théorie des contraintes. Il sait qu’il a une contrainte de capacité ressources durant l’été. Son musée est trop petit pour accueillir tout le monde à cette saison. Tout ce qui améliore le débit de visite dans la salle du vase est bon pour le musée. Il a donc créé des activités autour du vase, en extérieur et avec audioguide, projection, souvenirs. Certaines sont payantes pour augmenter le panier moyen. Pour cela, il capte son visiteur plus longtemps mais il sait qu’en faisant cela il déplace la contrainte de la salle du vase vers le parking qui est saturé l’été. Ce n’est pas un débutant en management par les contraintes, il a dressé les branches de réserves négatives. Il sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait.
Hors saison, sa contrainte est dans le marché. Il n’a pas assez de visiteurs pour remplir son musée. Son personnel est dimensionné pour la période hivernale mais l’été il quintuple avec des contractuels pour renforcer ses caisses et tous ses postes en contact avec le client.
Un objectif clair
Son objectif est clair car il doit équilibrer les comptes pour réduire le déficit ou faire un léger profit pour entretenir le patrimoine. En période de vaches maigres, son DGS comprend ce musée comme une rentrée de recettes. Un centre de profit dans le jargon privé qui est tabou dans ce système.
Un système particulièrement inefficace
Le directeur du musée découvre qu’il ne peut plus prendre autant de contractuels pour passer l’été. C’est désormais contraire à la politique de la DRH. Une catastrophe pour le musée. Le directeur plaide qu’il n’aura pas assez de caissiers. Le DSI argumente que ce n’est pas grave car il propose la mise en place d’une billeterie électronique qui permettra l’achat de billet par internet. Il faudra par contre créer un poste de contrôleur à l’entrée pour distinguer les visiteurs qui sont passé en coupe file avec leur billet électronique. Le logiciel ne sera pas prêt pour l’été car il faut refaire le site internet qui ne peut pas héberger de solution de paiement en l’état actuel. Aucun gain pour le musée mais tout bénéfice pour l’atteinte des objectifs de la DSI.
Pour finir, quand le directeur explique qu’il n’a pas besoin de billet en ligne mais de quelques contractuels et d’un parking légèrement plus grand, on lui rétorque que ce projet n’a pas été inscrit dans le logiciel de gestion de projet mis en place par la direction de la prospective. Cette dernière a pour objectif d’informatiser la gestion de tous les projets pour rentabiliser l’achat du logiciel acheté trois ans plus tôt.
La déclinaison des objectifs a tué les objectifs. Tout le monde tire dans tous les sens. Aucune amélioration. De l’agitation mais pas d’efficacité.
Post scriptum
Cette histoire est une fiction. Toute ressemblance avec une collectivité existante est moins probable que l’existence du boson de Higgs.