Episode 6 – On parle de valeur ajoutée
Trois jours pour préparer un kick off… ! Je l’aimais bien Roger, mais quand il était sous pression il perdait souvent le sens des réalités !
Lorsque tout se passe bien, il faut entre une semaine et 10 jours pour préparer ce genre d’événement : choisir le lieu, les participants, préparer une présentation efficace avec les messages clés, réserver un endroit sympa pour l’après boulot…
Bref, mes capacités adaptatives allaient devoir fonctionner à leur paroxysme ! Je devrais faire preuve de créativité pragmatisme et efficacité, le tout en un tiers du temps imparti !
Cela ne servirait à rien de négocier un délai, M Robertson avait déjà bouclé son vol et son hôtel…
J’avais besoin de réfléchir à l’organisation de ce événement et pour cela je me dis que rien de tel que d’aérer un peu mes neurones…
Avant de sortir, j’envoyai un message à mon chef, le prévenant que sortais une petite demi-heure, et franchis le seuil du bâtiment.
Il était 16h et bien que la plupart des ouvriers étaient déjà rentrés chez eux, la zone industrielle était encore animée…Les cafés se remplissait petits à petits des travailleurs qui décompressaient en prenant « le petit dernier entre collègues avant de rentrer », aux arrêts de bus commençaient à se rassembler les employés du premier shift, et quelques maris attentionnés faisaient les emplettes du soir afin d’aider leurs épouses qui leurs avaient probablement demander de ramener « du pain du lait ou juste quelques fruit ce soir…Ah, nous n’avons plus d’eau non plus… ».
Comme je n’avais pas souvent l’occasion d’être dehors à cette heure précoce de la soirée – ou tardive de l’après midi, c’est selon…je décidai d’en profiter un maximum et mis tous mes sens en action ! Je voulais tout capter, sons, odeur, paysage !
Je pris une profonde respiration et commençai donc à déambuler un peu au hasard dans les rues avoisinantes de l’usine.
Je m’amusai des conversations surprises et au fur et à mesure que, à peine sortis du champ auditif de l’un, je complétai les phrases entendues par les mots captés du suivant, et ainsi de suite, générant dans ma tête un dialogue surréaliste.
– Il a eu beau vouloir me livrer en 24 heures, son produit ne valait pas un clou !
Plus loin…à la terrasse :
– Comment veux tu on y investisse du temps si déjà on n’est pas capable de travailler correctement en temps normal !
– Tu as raison, ca ne vaut rien, son plan de fabrication !
Puis cette dame au téléphone :
– Tu sais bien que cela n’a aucune valeur ajoutée pour moi !
Et ce cafetier, en servant ses clients
– Avec tous ces gaspillages, vraiment…
– Si encore on était satisfait de son travail
Dit une dame à son collègue, blâmant probablement un troisième…
Gaspillages, valeur ajoutée, valeur, ça ne vaut rien, satisfaction… Soudain je pris conscience que notre société dans son langage quotidien faisait allusion constamment aux concepts que je défendais et voulais imposer dans le cadre de mon travail.
Et si le monde derrière l’usine n’était finalement pas si différent de celui de la fabrique…Où seulement les enjeux seraient autres ?
Je me surpris à esquisser un sourire…Ce postulat serait peut être la clé de mon kick off devenu un quick off par la force des choses, mais surtout des Américains !
Je creusai l’idée et c’est en prenant le chemin du retour que celle-ci allait se concrétiser…au détour d’une artère mes yeux s’arrêtèrent quelques instant sur une publicité pour le Brésil….On était en plein mondial, cela ne me surprenait pas mais bizarrement, ce n’était pas le football qui me vint à l’esprit…Je repensais soudain à ce film de Terry Gillan « Brazil », un film culte qui au delà de l’histoire d’amour décrivait un monde gris, une société à la James Orwell, sur base d’erreurs administratives et d’administration sans valeur …
Et c’est là que ma pensée de départ devint réalité ; je démarrerai le quick off par des extraits de ce film auxquels j’ajouterai les bribes de conversation attrapées lors de ma déambulation de cette après midi. J’étais persuadé, qu’ainsi décontextualisé, la notion de valeur ajoutée prendrait tout son sens, et ne serait plus uniquement notion !
J’accélérai le pas pour rentrer au bureau. A présent j’étais excité et il me hâtait de coucher sur le papier l’ébauche de ma présentation…
Tout en marchant, je me posai la question si en interne cette idée de valeur ajoutée était aussi galvaudée ou avait elle un sens ? La première personne que je devais interroger serait Thierry, après c’est par lui que tout a commencé !
J’entrais rapidement dans le bâtiment, dévalai rapidement les marches jusqu’au deuxième étage et faisant fi de mes angoisses passées [1] j’entrai sans frapper dans le bureau R&D
– Thierry, sais tu ce qu’est la valeur ajoutée ?
Il ne fut même pas surpris, ni par mon entrée en furie, ni par l’apparente absurdité de ma question, il réfléchit quelque secondes puis dit :
– Ben, la TVA… c’est la taxe sur la valeur ajoutée, non ?
Sa réponse était à demie juste ; il fallait donc la corriger à moitié.
– Thierry, lorsqu’un produit ou un service t’apporte entière satisfaction…cela a de la valeur ajoutée pour toi, n’est ce pas ?
– Ben oui !
– Donc tout ce que l’entreprise va mettre en place pour acheter, fabriquer ou réaliser ce service aura du sens, puisque cela sert la satisfaction de son client…Tu es d’accord ?
– Oui !
– Et le reste ?
– Quoi et le reste ?
– Thierry, tu es déconcertant, tu es avec moi ou pas ?
– – Ben oui !
– Donc si l’entreprise passe son temps et son énergie à réaliser ou fabriquer quelque chose qui ne va pas t’apporter satisfaction ou te laissera complètement indifférent, tu appelleras cela comment ?
– De l’énergie et du temps perdu !
– Exact ! C’est ce qu’on appelle les gaspillages …
– Ok , mais pourquoi tu me parles de tout cela ?
Enfin, la bonne question était posée…
– Thierry pour convaincre la boîte que tes idées sont bonnes, il faut leur vendre la valeur ajoutée que cela va leur apporter, et toute la méthodologie que nous allons utiliser dans ce projet sera basée sur ces deux antonymes : valeur et gaspillage.
Son regard s’alluma :
– Génial Daniel ! Comment puis-je t’aider ?
Sans le savoir, il venait de me donner la solution à mon problème de quick off.
Plutôt que d’être le seul à tout vouloir faire en 6 jours, nous serions deux. On pouvait honnêtement espérer que l’on y arriverait deux fois plus vite.
C’était un principe de base…mais j’avais été tellement obnubilé par cette notion de valeur que j’avais oublié de l’envisager.
Je mis donc Thierry à la recherche d’une salle et d’un événement, pendant que je me consacrerais à l’agenda, la liste des participants et la présentation….
:,: – Article proposé par David JOB, Consultant en Excellence Opérationnelle – :,: